• Hétéroclite - octobre 2012

    5 octobre 2012. Hétéroclite, l'épatant et toujours très stimulant magazine LGBT lyonnais auquel je collabore depuis quelques années, m'offre carte blanche avec "Feux croisés", une rubrique mensuelle dans laquelle je fais dialoguer plusieurs objets culturels autour d'un thème d'actualité. Voici la première de ces chroniques, à suivre…

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    Pourquoi être normal ?

    Ne plus se travestir. Ou se travestir. Telle est la question. Ou plutôt : ne plus travestir sa réalité, ou se travestir si c'est son identité. Tout est dans le beau titre du merveilleux livre féroce et intensément juste de Jeanette Winterson, qu'il suffit d'inverser : pourquoi être normal quand on peut être heureux ? Et être heureux c'est être soi. Qu'importe ce que cela recouvre. Travesti, gay, lesbienne, trans, ou autre, que sais-je ? La normalité telle que voudrait la lui voir adopter la mère de Jeanette n'est qu'un pis-aller, qu'une manière d'effacer sa différence : cachez cette homosexualité que je ne saurais voir, aurait pu dire Molière, et c'est contre quoi Jeanette est en lutte… C'est une violence, cet impératif de normalité, cette injonction à se fondre dans la norme, à abandonner ce que l'on est pour ce qui paraît acceptable aux yeux de la société. Une violence terrible, qui détruit de l'intérieur, qui empêche de vivre puisqu'on ne vivrait pas selon le modèle admis. Voyez le héros d'Ungarçon parfait, le si poignant roman d'Alain Claude Sulzer, dont toute l'existence dans le palace suisse où il est serveur, se passe à masquer ses goûts et ses désirs. Que reste-t-il de lui quand tout s'achève, lui qui n'a rien vécu que clandestinement, dans la honte et le mépris de lui-même ? Alors, contre la norme, la marge ? Celle où s'épanouit Sophia, la fleur vénéneuse et entêtante du Travesti de David Dumortier, poète et prostituée, travestie surtout, prenant et donnant du plaisir à tous les hommes de passage, surtout les moins intégrés à la société, immigrés, pauvres, sans papiers, Sophia qui, en se travestissant choisit fondamentalement de ne plus se travestir. Travesti, peut-être le texte le plus manifique du moment, et le plus dérangeant aussi dans sa beauté à la Jean Genet, tant il vient contrarier nos désirs politiques d'une normalité qui s'ouvrirait — enfin ! — à nous, au moment où mariage gay et adoption s'apprêtent à devenir une réalité…  A la norme de s'adapter à nos différences revendiquées, et plus l'inverse.

    Jeanette Winterson, Pourquoi être heureux quand on peut être normal ?, éd. de l'Olivier, 21 euros. Alain Claude Sulzer, Un garçon parfait, Babel/Actes Sud, 7,70 euros. David Dumortier, Travesti, éd. Le Dilettante, 17 euros. 

    http://www.heteroclite.org

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