• Hommage à Patrice Chéreau

    Hommage à Patrice Chéreau

    Je l'ai toujours admiré, jamais rencontré : j'avais peur, un peu, je crois, de son intelligence magnifique, de la puissance transperçante de son regard, de sa lucidité intense. Tous ses films et tous les spectacles que j'ai vus mis en scène par lui m'ont tourneboulé, bouleversé. J'en garde encore des éclairs et des blessures. Tout a été ou va être dit par les uns et les autres, ses proches et ses admirateurs. Quel hommage dès lors lui rendre que de revoir ses œuvres, de s'y replonger ? Voici un extrait de ce que j'ai écrit sur L'Homme blessé, son film le plus fascinant, dans mon livre L'Homosexualité au cinéma :

    "Un garçon engoncé dans une vie de famille étouffante se libère lorsque, dans une gare, il croise le regard d’un « homme blessé » plus âgé, mi gigolo mi maquereau surpris en train de tabasser un client consentant dans des pissotières où il plante, de façon imprévue, un baiser sur la bouche du jeune homme qui n’aura dès lors de cesse que de le retrouver, quitte à se cogner pour y parvenir à toutes les anfractuosités de cette nouvelle vie saisie au passage, sans hésitation, sans drame, sans tourments, sans crise, sans culpabilité. Car c’est ce qui stupéfie ici notamment, la manière dont Chéreau, contrairement à ce qu’on a beaucoup dit, dédramatise une homosexualité jamais posée comme autre chose qu’une donnée objective et indiscutable, pour le héros en premier lieu. (…)

    Le temps, comme souvent, a décanté les choses et, revu aujourd’hui, L’Homme blessé apparaît sans ambigüité comme ce qu’il a toujours été et que les déclarations répétées de Chéreau à l’époque (« Ce n’est pas un film sur l’homosexualité ») avait partiellement brouillé : un grand film sur une passion homosexuelle. Un film noir, âpre, terrible bien sûr. Une passion dévorante, brutale, déchirante certes. Une homosexualité dangereuse, amorale, impure évidemment. Mais la noirceur d’un film, la violence d’une passion ou l’impossibilité d’un amour (« Chaque homme tue l’objet de son amour ») ont-elle jamais déconsidéré ce film, cette passion, cet amour ? Evidemment non, Jacques Siclier étant à l’époque celui qui l’a le mieux compris et formulé dans Le Monde : "L’Homme blessé de Patrice Chéreau est l’histoire d’une passion aussi folle, aussi destructrice que celle de la comtesse Livia Serpieri pour Franz Mahler, dans Senso, de Visconti. Mais il ne s’agit plus d’une aristocrate italienne et d’un officier autrichien dans le contexte d’un bouleversement historique. Il ne s’agit plus d’une femme et d’un homme, mais de deux hommes, aujourd’hui, dans une ville de province, un adolescent de 16-17 ans, Henri, et un voyou d’une trentaine d’années, Jean, dont la séduction, pour le garçon, tient justement au danger qu’il représente. (…) L’Homme blessé n’est pas un film (militant ou complaisant) sur l’homosexualité masculine (…). C’est le film d’une passion traversant l’homosexualité, en tempête. Les amateurs de pornographie en sont pour leurs frais, et les défenseurs des "bonnes mœurs" pourront toujours crier. L’accord parfait du scénario et de la mise en scène réalise l’osmose d’un désir de tendresse, d’amour fou, et la dérive d’êtres qui ont franchi, une fois pour toutes, les barrières sociales."

    A trente ans de distance, deux choses sidèrent encore dans L’Homme blessé : la manière absolument renversante dont Chéreau fait entrer, avec un mélange de réalisme et de théâtralité, la ronde du désir homosexuel dans toute sa singularité (le rituel de la drague dans la gare, les regards, les approches, les pulsions sexuelles, les accouplements…) dans le corps d’un cinéma français qui n’avait encore rien vu de tel ; et surtout l’évidence avec laquelle Chéreau fait de L’Homme blessé le premier grand film intrinsèquement homosexuel (par son thème, ses personnages, son atmosphère, sa sensibilité de metteur en scène et d’auteur mais aussi l’axe de son regard) du cinéma français. Ceci étant dit sans omettre l’existence parallèle et/ou antérieure d’une amorce de cinéma gay constituée par des films non négligeables mais assez marginaux, économiquement et commercialement…"

     

     

     

     

     


     

     

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